7 septembre 2024 |
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Message québécois pour la Journée mondiale du théâtre
Par Debbie Lynch-White
« Aussi longtemps que le monde sera monde et que l’être humain sera intéressé à en savoir un petit peu plus sur lui-même, il y aura cette lampe du sanctuaire, qui apportera sa petite lumière. » - Le personnage joué par Françoise Faucher dans le film La sentinelle de Claude Guilmain.
La sentinelle, la servante, la baladeuse. Cette lueur qui protège. Qui ne s’éteint jamais. La nuit, j’aime croire que les théâtres veillent sur la ville, qui dort grâce à elle, avec ce doux halo qui prend soin des mondes qu’on s’invente. J’aime penser que les histoires se mettent en veilleuse, se figent et attendent les prochaines personnes qui, à leur tour, oseront s’extirper du monde du dehors pour venir s’asseoir devant le spectacle. En consentant à tamiser le « je » pour illuminer le « nous ». Parce que je crois profondément que le théâtre fait de nous de meilleurs humains. Qu’il enflamme les cœurs. Qu’il éclaire nos parts d’ombre, nos angles morts, ce qu’on cache et surtout ce qu’on ne sait pas qu’on cache, pour embraser notre empathie et attiser notre soif d’apprendre l’autre, de comprendre son feu. Le théâtre est le reflet de ce que nous sommes dans nos lumières et nos obscurités. Il permet de nous voir, à découvert, de nous identifier et de trouver notre place dans un monde ardent. D’entrevoir les rayons qui émanent de chacun de nous pour qu’ensuite nous retournions dans nos vies, plus flamboyants qu’avant. Le théâtre, c’est l’intime qui rencontre le collectif dans un flamenco qu’on ne quitte pas indemne. Quel privilège d’avoir des espaces où « être ensemble » existe encore. Sans que tout aille vite. Des lieux de respirations communes. Le théâtre, c’est l’éclaircie dont on a besoin pour raviver les quelques tisons qu’on peine parfois à garder brûlants au fond du ventre. C’est un faisceau qui fait irradier les invisibles, toutes les personnes qu’on ne voit pas et qui se sentent elles-mêmes rarement vues. Le théâtre est un flambeau qui enlumine le silence et fait miroiter toute sa profondeur, nous révélant ainsi toujours un peu plus à nous-mêmes. La sentinelle, quant à elle, est la gardienne iridescente de la poésie des artisans dont le travail sensible transforme un bout de bois en navire et un taffetas en étoffe royale. Qui font d’un fa dièse le bruit du vent, et d’un gobo la mer agitée. La sentinelle est cette lanterne aussi, comme une bougie d’allumage pour la relève, jeune braise incandescente, parfois condescendante, consciente et étincelante, prête à allumer la mèche et à tout faire sauter afin de continuer de nous réinventer, de nous raconter et de jeter la lumière sur les enjeux de demain. Pour qu’on y voie tous·tes plus clair. La sentinelle, ce réverbère comme symbole de dépassement, de recherche, de questionnements, de bienveillance, d’inconnu, de clarté, de peur et de grandiose. Cet astre sécurise non seulement les fantômes qui rôdent la nuit, mais guette aussi cette vie parallèle qu’il fait tant de bien à revêtir soir après soir. Dans cet art qualifié de vivant, il est ironique et magnifique de peaufiner avec tant d’efforts et de dévouement des paroles et des gestes, qui, aussitôt prononcés et joués, meurent. Je n’arrêterai jamais de trouver cet acte de foi merveilleux : celui de faire rutiler de façon éphémère ces paroles et ces gestes, leur faire brûler les planches et espérer qu’une phrase, une émotion ou un moment de grâce marqueront le cœur de quelqu’un dans la salle. Dans une période où le théâtre peine parfois à voir la lumière au bout du tunnel, cette étoile est la protectrice de notre flamme intérieure que rien ne pourra étouffer ou en amoindrir la chaleur ou la brillance. La sentinelle sera toujours là. Vigie inébranlable. Phare éblouissant et solide qui attend, patiemment, en silence, que le jeu recommence.