Conseil québécois du théâtre
Paul Buissonneau, fou de théâtre et bâtisseur
12 décembre 2014 | PARTAGER :        

Par Pierre MacDuff, président du CQT de 2000 à 2003


Lorsque les Compagnons de la chanson en tournée amènent Paul Buissonneau à Montréal, en 1950, il choisit d’y demeurer. Homme profondément intuitif, il n’aurait pourtant jamais pu anticiper à quel point il contribuera à changer son Québec d’adoption dont l’époque en était alors une d’opacité culturelle. Je crois aussi que sa grande modestie, difficile à imaginer derrière ses coups de gueule légendaires, et aux antipodes du personnage de maudit Français dont il se revendiquait parfois, et à tort, ne lui a pas permis de mesurer à quel point le Québec lui est redevable.
 
À l’emploi du Service des parcs de la Ville de Montréal à titre de moniteur pour y animer la toute nouvelle Roulotte, Buissonneau fait de ce théâtre ambulant une véritable pépinière de nouveaux talents, et entraîne de jeunes comédiens dans une aventure théâtrale de bric et de broc et de grande inventivité, à laquelle participent Jean-Louis Millette, Clémence Desrochers, Marcel Sabourin, Angèle Coutu, Robert Gravel, Luc Durand, Yvon Deschamps, Lothaire Bluteau, Gabriel Arcand et Gilles Latulippe, pour ne prendre qu’eux. Il fait aussi école, à sa manière et présentera, plusieurs étés durant aux quatre coins de la ville et dans des quartiers défavorisés, un théâtre souvent inspiré de la commedia dell’arte, toujours accompagné d’une pantomime. Pour des milliers de Montréalais, petits et grands, dont j’étais, ce sera l’occasion de leur première rencontre avec le théâtre dans ce Montréal d’alors où la scène posait les premiers jalons de sa professionnalisation.
 
À la même époque, au double titre d’auteur et d’interprète, Buissonneau crée pour le jeune public de la télévision naissante un personnage qui deviendra une icône. Avec son costume d’Arlequin moderne et les paillettes d’or qu’il a sur les paupières, qui brillent dans le noir et blanc de l’écran, Picolo raconte, et lorsqu’il est muet, c’est tout son corps qui parle. Picolo manipule à l’occasion une marionnette à fil de Picolo et offre à des générations d’enfants une porte ouverte sur l’imaginaire et la poésie dans un comique de situation ancestral et loufoque où il se met souvent dans le pétrin.
 
En 1965, avec Claude Léveillée, Yvon Deschamps et Jean-Louis Millette, Buissonneau inaugure le Théâtre de Quat’Sous dans une ancienne synagogue qu’ils ont acquise et transformée. Une aventure insensée au plan financier dans ce Québec où le ministère des Affaires culturelles n’a que quatre ans d’existence et si peu de moyens que, l’année précédente, son instigateur Georges-Émile Lapalme a claqué la porte du Parti libéral qui refusait de lui donner les moyens de ses ambitions. Mais Buissonneau est un fou de théâtre qui fonctionne à la débrouille et qui se révélera un directeur artistique éclairé. Il fera du Quat’Sous un lieu de création effervescent, ne reculant pas devant les œuvres exigeantes et dérangeantes. Il ouvre grand les bras aux auteurs québécois parmi ceux de l’avant-garde européens et américains qu’il monte. Robert Gurik, René-Daniel Dubois et Normand Chaurette s’y feront connaître au fil des décennies.
 
À l’exception des Belles-Sœurs, toutes les pièces des années 1970 de Michel Tremblay, qui constituent le fondement même de son œuvre, y seront créées. Ce sera le point de chute du Grand Cirque Ordinaire (notamment avec T’es pas tannée, Jeanne d’Arc ?) et le point de départ de L’Osstidcho, qu’il met en scène et dont il trouve le nom lors d’une montée de lait à l’endroit de l’équipe qui ne partage pas son sens spartiate de la discipline. Autant, au plan dramaturgique, il y eu un avant et un après Les Belles-Sœurs (dont la création aura lieu deux mois plus tard, au Théâtre du Rideau Vert), autant il y eut avant et après L’Osstidcho dans le domaine de la chanson. Et ce n’est pas un hasard si la création de ce spectacle emblématique qui révéla l’univers d’Yvon Deschamps eut lieu sur une scène de théâtre, celle de Buissonneau. Plus que tout autre à la direction d’un théâtre, celui-ci pressent la mutation des valeurs profondes qui traversent la société québécoise.
 
Il a aussi instruit de nombreuses générations de spectateurs en étant, selon moi, le premier qui incarne une référence à titre de metteur en scène, même si l’on ne saisissait pas bien, dans les années 1970, quel rôle précis pouvait jouer celui-ci dans la conduite d’un spectacle. On allait alors voir un spectacle « de Paul Buissonneau » même en ne connaissant ni l’auteur ou les interprètes. Au même titre qu’une génération plus tard, on ira voir un spectacle de Brassard puis, subséquemment, de Gilles Maheu, Robert Lepage ou Denis Marleau. Il a d’ailleurs, parmi les tout premiers, ouvert les portes de son théâtre à Lepage et Marleau.
 
Je tiens pour mémorable sa mise en scène de Faut jeter la vieille de Dario Fo, où le plateau du Port-Royal (devenu le Théâtre Jean-Duceppe) avait été transformé en dépotoir qu’investissait une horde de clowns habillés en combinaisons d’hiver et qu’incarnaient Hélène Loiselle, Marc Favreau, Lionel Villeneuve, Claude Gai, Robert Gravel, Luce Guilbeault, Christine Olivier et Jean-Louis Millette : le TNM de 1969 y a perdu quelques abonnés. Ce spectacle aura agi comme électrochoc pour plusieurs spectateurs et le théâtre, j’en suis convaincu, y aura gagné parmi ceux-ci quelques futurs artisans, ébahis de constater que le théâtre pouvait aussi être « ça ».
 
Metteur en scène et directeur de théâtre, mais aussi scénographe et, parfois, concepteur de costumes, comédien, marionnettiste, mime, auteur. Paul Buissonneau  n’est pas un théoricien, ce qui ne l’a pas empêché d’être visionnaire ni de former des générations d’acteurs et d’actrices qui l’ont côtoyé et qui, parfois, ont subi ses foudres : Buissonneau est l’antithèse de la langue de bois et on sait rapidement ce qu’il pense. Mais on peut, aussi, mesurer sa grande sensibilité dans les contes pour adultes qu’il a publiés (Les comptes de ma mémoire, 2003) et qui s’arriment à l’enfance difficile qu’il a connue.
 
Homme d’action, d’audace et de passion, d’exigence, son apport aura été de première importance  pour le Québec qu’il a contribué à révéler à lui-même, et pour le développement du théâtre. Il a joué un rôle déterminant dans l’émergence de la dramaturgie québécoise, de nouveaux interprètes, de nouveaux metteurs en scène et de nouvelles esthétiques en totale rupture avec un théâtre élitiste et bourgeois dominant sur l’ensemble des autres scènes de l’époque, alors qu’il dirigeait le Quat’Sous. Son héritage, qui mérite respect et reconnaissance, est immense.
 
 
 
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